» Une dame qui a tout l’esprit du monde a dit que j’avais vécu trois ou quatre vies différentes, homme, femme, toujours dans les extrémités ; abîmé ou dans l’étude ou dans les bagatelles ; estimable par un courage qui mène au bout du monde, méprisable par une coquetterie de petite fille ; et, dans tout ces états différents, toujours gouverné par le plaisir. » – CHOISY, Mémoires (1966), P.25.
« Je regardais avec étonnement un homme dont la vie avait été remplie de si étranges disparates. » – Marquis d’ARGENSON, Mémoires (1857), 1, 74.
François-Timoléon de Choisy est né le 16 août 1644 à Paris, où il meurt le 2 octobre 1724; Il est donc un parfait contemporain de Louis XIV et fut un abbé et un homme de lettres français. Selon Pierre Larousse, dans son article du Grand Larousse du XIX° siècle, « Il reçut une éducation tout à fait efféminée qui devait nécessairement le rendre impropre aux grandes choses et développer en lui ces idées de galanterie et d’élégant libertinage qui nous ont valu tant de madrigaux et de fleurette. Choisy fut donc un abbé de Cour, et même autre chose, une coquette qui avait mille fois plus de goût pour les mouches et les rubans, mille fois plus de désir de plaire que les coquettes de profession… »
On le décrit souvent comme un « travesti, dévoré par la passion du jeu, croqueur d’héritages, voyageur au long cours, prêtre dévot, académicien tout à la fois [Cf. source 1] ». En fait d’habillement, il se vêtit en femme à la demande de sa mère, puis par goût et lorsque ses débordements l’incitèrent à fuir le scandale, il voyagea et délors se réfugia, en homme, dans le jeu. En matière de train de vie, il hérita de sa mère, puis de l’un de ses frères, mort prématurément. Il touchait aussi de confortables pensions royales, tant françaises que polonaises. Il fut certes impécunieux, car il dilapida sa fortune en toilettes, bijoux et réceptions mondaines qu’il aimait à donner pour s’attirer les faveurs et la reconnaissance de son entourage : rien que de banal pour un noble de l’époque du roi Soleil.
« La famille [de Choisy] est de récente noblesse de robe. Il est dernier fils de Jean de Choisy, conseiller d’État, intendant du Languedoc, chancelier de Gaston d’Orléans et de Jeanne-Olympe Hurault de L’Hospital (qui est une petite-fille de Michel de L’Hospital et surtout une intime de Marie de Gonzague, reine de Pologne).
Le petit Timoléon, très vite orphelin de père, reçoit une éducation singulière. Sa mère joua son rôle chez les « précieuses » du XVIIème [siècle]. Elle est mondaine, élégante, spirituelle, légère et frivole, elle l’habille en fille, le poudre, le farde, le tapisse de « mouches » et de diamants… et ce jusqu’à l’âge de dix-huit ans, pour faire [en sorte qu’il puisse faire] sa cour à la reine Anne d’Autriche et l’introduire dans l’entourage [de « Monsieur », le] jeune frère de Louis XIV. »
En fait, ses frères ainés lui ayant ravi la première et la seconde place en matière de naissance, il ne pouvait donc prétendre aux avantages du droit d’ainesse ou à la condition militaire qui gratifiaient automatiquement et respectivement l’ainé et le cadet de toute famille de bonne noblesse de cette époque. C’est donc de façon très avisée que sa mère, voyant fermées les « portes » royales d’une carrière florissante dans la société aristocratique, trouva la « fenêtre » du subterfuge féminin qui était, en ces temps là, parfaitement admis. On peut admirer, encore aujourd’hui, de nombreux portraits de jeunes mâles nobles, et des plus fameux, vêtus comme leurs soeurs ou leur cousines.
« Le ciel l’a pourvu d’une jolie figure, il joue le jeu. Il s’initie aux joies troubles du travesti[ssement. Ndle] que partage « Monsieur ». Il étudie avec plus ou moins de passion la théologie en Sorbonne de 18 à 22 ans, étude, au terme desquels il obtient le titre d’abbé et les revenus temporels liés à l’abbaye de Saint-Seine en Bourgogne. Sa mère lui disait : « Écoutez, mon fils ; ne soyez point glorieux, et songez que vous n’êtes qu’un bourgeois. Je sais bien que vos pères, que vos grands-pères ont été maîtres des requêtes, conseillers d’État; mais apprenez de moi qu’en France on ne reconnaît de noblesse que celle d’épée. La nation, toute guerrière, a mis la gloire dans les armes: or, mon fils, pour n’être point glorieux, ne voyez jamais que des gens de qualité ».
Abbé de cour, abbé mondain, il se pare de splendides robes, de diamants et de mouches pour séduire des jeunes personnes [qu’il délure et fait souvent habiller en garçons]. Se faisant appeler « Comtesse de Barre », il est protégé du scandale et des poursuites par son amitié avec le frère du roi. Jusqu’à quel point ? Il ne craint pas de dire « j’avais des amants à qui j’accordais de petites faveurs, fort réservé sur les grandes ». Libre à chacun d’interpréter à sa façon ! Il est fort probable en tous cas que d‘une liaison avec une actrice, il ait eu une progéniture. [Chaque fois que ses « amours » tournent mal, il est re]pris par le démon du jeu. »
De fait, « Monsieur » frère du roi, aimait beaucoup s’habiller en femme, se mirer dans ses miroirs et glaces, paré de beaux bijoux et de robes affriolantes ; il était désespéré de ne pouvoir le faire aussi souvent et aussi ouvertement, à cause des contraintes importantes liées à sa position sociale élevée à la cour du roi Louis XIV. Aussi usait-il d’un subterfuge plutôt courant, à savoir organiser des bals masqués où il pouvait aisément donner libre cours à sa passion et la couvrir des voiles légers de l’amusement ordinaire.
« Dès la mort de sa mère, en 1669, le jeune abbé (il n’a pas encore reçu les ordres) aggrave ses habitudes et transforme sa soutane en toilette de femme à la mode. Il règle rapidement la question d’héritage avec ses trois frères, en se contentant de ses bijoux. Si Louis XIV ne fait pas encore profession d’une dévotion rigide, il lui fait tout de même savoir son mécontentement. Il part alors en Italie où il continue ses turpitudes de plus belle, ce qui ne l’empêche pas, à Rome, d’être le conclaviste du Cardinal de Bouillon quand le Pape Innocent IX est élu ! il se ruine au jeu à Venise et en 1683, trouve son chemin de Damas : à l’approche de la quarantaine, il tombe soudain malade et frôle la mort. Guéri, il est décidé à changer de vie et se retire, un an durant, au séminaire des Missions étrangères, rue du Bac, sur les instances de l’abbé de Dangeau. Il publie alors en 1684 en collaboration avec celui-ci son premier ouvrage : Quatre dialogues sur l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu, la providence, la religion. »
L’ abbé de Choisy au Siam
La publication de ces pieux ouvrages ne lui suffit pas ! Il veut se montrer ardent propagateur du catholicisme. Il demande alors au Roi de faire partie de l’ambassade de Siam, l’ambassade est pourvue et l’on crée donc pour lui le titre de coadjuteur. Fuyait-il ses créanciers de jeu ? Possible. Possible aussi que dans l’hypothèse de la conversion du Roi Naraï, Louis XIV ait voulu adjoindre à Chaumont une personne ayant quelques connaissances théologiques ? »
[Hypothèse invalidée par le fait qu’à bord de « L’Oiseau », navire qui le transporta au Siam se trouvait des Jésuites, théologiens de bien plus haut niveau que celui de Choisy, lequel reconnait aisément ses faibles compétences. Non, de Choisy bénéficie seulement des « largesses » du Roi qui le préfère, en fait, à mille milles de la cour, lui épargnant ainsi toutes sortes de scandales. NDLE] […]
« Parti pour d’autres aventures au sein de la fastueuse ambassade du très Chrétien Louis XIV, il est ébloui par l’exotisme de ce lointain royaume, et toujours pris de ferveur religieuse, s’y fait ordonner prêtre par Louis Laneau, évêque de Métellopolis, le 10 décembre 1685.
De tous les mémoires des participants à cette expédition, seul le pétillant texte de Choisy sera un succès de librairie : de 1686 à 1690, de nombreuses éditions à Paris et Amsterdam et une après sa mort en 1741, et toujours encore aujourd’hui. On admire dans son texte l’ironie et le naturel, jamais il ne prend la position d’un membre de l’ambassade où son rôle fut modeste, mais où il a su se créer la fonction de coadjuteur qui n’a jamais existé que pour lui.
Le succès lui ouvre une nouvelle carrière, littéraire celle-là. Dans son cabinet, toujours habillé en femme, il découvre alors le bonheur d’écrire : livres d’histoire, ouvrages édifiants. »
Après « une période voluptueuse, une parenthèse missionnaire, le voilà homme de lettre. »
« toujours habillé en femme jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, il rédige un certain nombre de travaux historiques et religieux, nous lui devons ainsi :
une Interprétation des Psaumes avec la Vie de David, en 1687,
un Recueil de plusieurs pièces d’éloquence et de poësie présentées à l’Académie française…
une volumineuse Histoire de France …
Sans compter une gigantesque histoire de l’Église en 11 volumes …
la somme en la matière reste l’ « Histoire ecclésiastique » de Fleury.
Comparant les deux ouvrages, une langue de vipère en a dit « l’histoire de Choisy est fleurie, celle de Fleury est choisie. »
Lui même n’est pas dupe, il sait l’art des bons mots et écrit à propos de ce pavé :
« Grâce à Dieu, j’ai terminé mon histoire de l’église, je vais maintenant pouvoir l’étudier ! »
Une autre langue de vipère en a dit :
« le dernier tome se ressent de l’âge avancé dans lequel il l’a écrit ! ».
Il a un [bon] sens de l’humour au second degré : débiteur à l’égard d’une marquise d’une somme de 50 louis d’or, perdue au pharaon ou au tric trac, il lui envoie les 11 volumes de son histoire « pour la faire patienter ».
Il est élu à l’académie française en 1687. Son discours de réception ne mérite pas d’être rapporté, il n’est qu’un panégyrique de la politique de Louis XIV à l’égard des protestants et un monument de flagornerie. Pas mieux au demeurant que son éloge prononcé par son successeur, un austère magistrat du nom d’Antoine Portail qui n’a laissé aucune trace dans la littérature.
De Choisy meurt octogénaire, doyen de l’Académie française, en 1724. Au soir de sa vie, il gardait sa bonne humeur et, bravant les tabous, aurait confié à sa plume alerte : Les Aventures de l’abbé de Choisy habillé en femme ; voir ci-dessous de téléchargement [2]. Cet ouvrage posthume lui est attribué à tort ou à raison:
Dans cet ouvrage, l’Abbé de Choisy s’attribue le beau rôle, mais trop beau précisément … pour être véridique. De plus les descriptions de ses toilettes et de ses manies amoureuses ont un côté trop répétitifs pour qu’au final on puisse croire à ses sornettes.
En conclusion on pourra dire que ce personnage extravagant, né aux marches du trône, aimé et estimé de tous, aurait pu parvenir, à une brillante fortune s’il avait eu meilleure conduite. Lui même le précise :
« Dieu ne me l’a pas permis, je me serais perdu dans les grandes élévations et d’ailleurs à la mort, j’aurais eu à en rendre un plus grand compte. Je n’aurai qu’à répondre de moi».
–
Publié 1° fois / DG, le : 21.01.2016
Rewriting : Lio de France / DG
Source [1] : Alain Bernard en Thailande
Fac similé [2] : « Mémoire de l’Abbé de Choisy habillé en femme » :
L’Abbé de Choisy [3] : Androgyne et mandarin par Dick van der Cruysse